La mobilité est une liberté fondamentale dans nos démocraties. Elle concerne chacune et chacun d’entre nous au quotidien, dans notre rapport au travail, aux gens que nous aimons et que nous rencontrons, dans nos modes de consommation, dans nos loisirs, dans nos voyages.
Nous ne nous déplaçons pas aujourd’hui comme il y a deux cents ans : nous allons plus loin, plus vite. Ainsi, en France, en 1800, un individu parcourait en moyenne quatre à cinq kilomètres par jour. Il en parcourt aujourd’hui dix fois plus, dix fois plus vite. La démocratisation des moyens de transport modernes après la première moitié du XXe siècle a généré beaucoup d’avantages pour de nombreux individus, améliorant dans une large mesure leur mobilité spatiale et sociale et leur confort. Cependant, les niveaux toujours plus élevés de consommation de combustibles fossiles et d'émissions de gaz à effet de serre (GES) sont devenus le revers de la médaille.
Ainsi, les manières dont nous nous mouvons génèrent des impacts sur de nombreuses dimensions de notre environnement. En premier lieu donc, sur le climat : le secteur des transports est l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, représentant 28,5% des émissions de l’Union européenne en 2019 et 34% en France (en intégrant le transport international). Dans un contexte d’urgence climatique, les énergies fossiles sont par ailleurs au cœur des enjeux géopolitiques du continent européen : la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine nous le rappelle brutalement. La coopération européenne est ici indispensable pour sortir de la dépendance aux importations d’énergies fossiles russes. C’est une double nécessité, climatique et démocratique, et les politiques de mobilité des États membres doivent y contribuer.
Nos habitudes et modes de déplacements ont également un impact sur notre santé : pollution de l’air, sédentarité et bruit sont les effets collatéraux de notre modèle fondé principalement sur la voiture individuelle. La transformation des mobilités est ainsi non seulement un enjeu climatique, mais aussi un enjeu sanitaire et de qualité de vie.
Nous ne sommes pas tous et toutes égaux face aux mobilités : dans l’espace public, les déplacements des femmes sont encore trop souvent générateurs d’un sentiment d’insécurité et d’un risque d’agression ou de harcèlement sexiste ou sexuel. Les infrastructures de transport demeurent peu adaptées aux personnes accompagnant les enfants ou les personnages âgées (majoritairement les femmes) et travaillant dans le domaine de l’aide à la personne. Les politiques de mobilité du XXIe siècle doivent aussi faire leur part de la lutte contre les inégalités de genre.
A cela s’ajoutent des inégalités territoriales – tous les territoires n’étant pas équitablement desservis ou équipés – et sociales - le mouvement des gilets jaunes en France aura été en la matière un signal fort notamment sur la question de la mobilité contrainte. Les politiques de transformation de nos mobilités ne sauraient faire l’impasse sur la prise en compte de ces inégalités, sans quoi elles ne pourront pas être acceptées.
Mettre en lumière ces enjeux, proposer des perspectives et dresser un panorama des solutions qui existent pour faire changer nos mobilités : c’est le projet de cet Atlas des Mobilités, qui s’insère au sein d’un vaste projet européen – le European Mobility Atlas. L'Europe est en effet le continent où de multiples formes de transport ont été inventées ou portées à maturité technologique. La libre circulation des personnes a permis à l'Europe de grandir ensemble et c’est elle qui contribue à la cohésion entre les peuples européens. Cet Atlas s’intéresse spécifiquement à la France, sans toutefois perdre de vue l’échelon européen et l’éclairage que peuvent apporter les nombreux exemples à travers le continent. Sa réalisation n’aurait pas été possible sans la participation des auteurs et autrices et d’organisations engagées pour la transformation des mobilités, parmi lesquelles le Forum Vies Mobiles, la Fondation pour la Nature et l’Homme ou encore l’Académie des Mobilités Actives (ADMA), que nous remercions chaleureusement pour leur engagement. Nous remercions tout particulièrement nos collègues Jules Hebert pour la direction éditoriale de l'édition française de l'Atlas européen de la mobilité ainsi que Martin Keim pour la direction de l'ensemble du projet.
En Europe, en France, la société civile s’active, à toutes les échelles : européenne, nationale, locale. C’est une chance et une nécessité : sa mobilisation est indispensable pour la réussite de la transformation de nos mobilités. Des exemples fleurissent à travers les territoires, menés par des start-ups, des associations, des citoyen-ne-s, des collectivités. Les innovations et les initiatives ne manquent pas, pour réinventer la voiture individuelle et ses usages, redonner la place aux mobilités actives (vélo et marche notamment) au cœur de nos villes, développer les transports en commun dans tous les territoires, rouvrir des petites lignes ou remettre des trains de nuits sur les rails. Les politiques publiques doivent s’inspirer de ce mouvement et le soutenir, afin que demain, nos mobilités soient plus durables, plus inclusives, au service du climat, du vivre ensemble et d’une meilleure qualité de vie, au quotidien comme à long terme.
Paris et Bruxelles, juin 2022
- Marc Berthold, Directeur, Heinrich-Böll-Stiftung Paris, France
- Eva van de Rakt, Directrice, Heinrich-Böll-Stiftung Union Européenne, Bruxelles